CHAPITRE 12

Que porte une chenille dans les grandes occasions ? Un nœud papillon !

 

Jacen Solo, quatorze ans

 

Dans une galaxie qui devenait folle, où la guerre se déclarait dans un nouveau système chaque jour et où des villes entières pouvaient être dévastées par simple décret d’un Chef d’État de l’AG, personne ne fit attention au jeune homme qui entra dans la cantina minable du dépôt de ravitaillement de la Station Nova et s’assit au bar. Les autres clients – un assortiment bigarré d’humains et de non-humains – se contentèrent de le regarder assez longtemps pour s’assurer qu’il ne posait aucun danger. Le barman Twi’lek à la peau rouge ne lui prêta pas autant d’attention ; il se contenta de lever les yeux du flimsijournal qu’il lisait pour le regarder puis se remit à lire.

Ben ne comprit donc pas pourquoi cette sensation irritable d’être surveillé ne le quittait pas. Avant d’entreprendre son voyage retour jusqu’à la base Jedi sur Shedu Maad, il avait pris toutes les précautions pour s’assurer qu’il n’était pas suivi. Il avait détruit la puce de localisation qui se trouvait sous son omoplate grâce à la Force avant de quitter la prison de la GAG, puis avait voyagé sur Coruscant en changeant de moyen de transport au hasard et en modifiant son apparence à de nombreuses reprises. Il avait même démonté le sabre laser à la recherche d’appareils de localisation, puis il s’était introduit dans un hôpital et avait utilisé la Force pour convaincre un sympathique technicien de le bombarder de rayons électromagnétiques afin de détruire d’éventuelles puces qu’il n’aurait pas trouvées. Pourtant, il avait toujours cette sensation, comme si quelqu’un l’avait vraiment suivi jusqu’à la Station Nova et pourrait le suivre jusqu’à la base secrète Jedi sur Shedu Maad.

Comme Ben ne comprenait pas le message et ne partait pas, le barman se détourna à contrecœur de son flimsijournal et s’approcha de lui. Il jeta un dessous de verre en plastoïd qui se colla sur le comptoir crasseux puis dévoila une dent jaune et pointue d’un côté de sa bouche.

— Qu’est-ce ce sera, mon ami ? demanda-t-il.

— Un Fogblaster Saphir, agité, pas secoué, dit Ben en donnant le nom de la boisson que ses instructions lui indiquaient de commander. Et un menu, je meurs de faim.

— Le menu est là, dit le Twi’lek en montrant un écran au-dessus de la pompe derrière le bar sur lequel était seulement inscrit : RAGOÛT DE NELAB : 10 CRÉDITS. Un Fogblaster, c’est huit crédits.

— D’accord, dit Ben. C’est quoi du ragoût de nelab ?

— Mieux vaut que tu l’ignores, surtout si tu comptes en manger. Moi, je préfère avoir faim. (Le Twi’lek resta devant Ben et l’examina sans tenter de dissimuler son air soupçonneux.) Tu as assez d’argent pour le Fogblaster, au moins ?

Ben s’apprêtait à se plaindre de sa grossièreté lorsqu’il s’aperçut que la question était probablement justifiée. Il n’avait porté l’armure volée de la GAG que le temps d’intimider un chargé des cargaisons au spatioport pour qu’il embarque discrètement le cadavre de Shevu et l’apporte à Shula sur Vaklin pour « rendre service à la Garde ». Il avait ensuite influencé des gens par la Force pour échanger avec eux des tenues de moins en moins élégantes. À présent, il nageait dans un ensemble tunique et tabard trop grand pour lui qu’un chronovendeur ambulant corpulent avait échangé en hésitant contre une cape de soie brillante que Ben avait obtenue une heure plus tôt d’un jongleur du spatioport. Les habits, déjà guère présentables à l’époque de leur achat, étaient désormais froissés, sales et puants.

— Désolé, dit Ben en sortant vingt crédits de sa poche. Je dois avoir l’air d’un clandestin.

— Peu m’importe ton apparence, dit le Twi’lek en lui prenant le billet de la main. Tant que tu as des crédits.

Il partit préparer le Fogblaster. Ben n’en avait jamais bu, tout comme il n’avait jamais goûté aucune autre boisson alcoolisée, et, même si sa vie en dépendait, il n’aurait pu faire la différence entre un Fogblaster agité et un secoué. Mais il était tout de même tenté de voir si cela endormirait la douleur âpre qu’il ressentait. Il était toujours malade en pensant à ce que Tahiri avait fait à Shevu et la mort de son ami avait réveillé d’autres expériences peut-être plus pénibles encore. La même peine et le même désespoir qu’il avait ressentis à la mort de sa mère revenaient parfois le hanter et lui faisaient parfois si mal qu’il devait aller chercher le soutien de son père.

Etonnamment, Ben ne ressentait aucune colère. Il ne détestait pas Tahiri pour ce qu’elle avait fait, il n’éprouvait même aucune antipathie envers elle. En réalité, il avait essentiellement de la pitié pour elle. Il avait traversé la même chose qu’elle, avait accompli des choses presque aussi terribles, car Jacen l’avait convaincu qu’il servait la galaxie. À présent, Ben ne voulait pas vraiment punir Tahiri, il voulait la sauver.

Le barman revint avec un grand verre glacé de la taille d’un bol de soupe. Il le posa sur le comptoir des deux mains comme s’il avait peur d’en renverser puis recula et attendit.

Comme Ben ne prit pas immédiatement le verre, il demanda :

— Quelque chose ne va pas ?

Ben regarda la boisson avec méfiance. À l’intérieur du verre, une décoction noire et bouillonnante laissait s’échapper de la vapeur bleue qui avait la même odeur que des déjections de ronto.

— Non, ça a l’air bien, je crois, dit Ben. Je vais peut-être aussi prendre un verre d’eau.

Les tentacules du Twi’lek tremblèrent, un signe indiquant qu’il se sentait insulté, puis il dit :

— L’eau n’est pas gratuite.

— Très bien, dit Ben. Servez-vous sur le billet que je vous ai donné.

Le Twi’lek adressa à Ben un regard aussi méfiant que celui-ci avait jeté sur le Fogblaster, puis sortit un seau vide de sous le comptoir avant de le poser à côté du verre.

— Si tu as un problème, mon ami, dit-il en montrant le seau.

— Heu, merci, dit Ben en renonçant définitivement à l’idée d’essayer le Fogblaster. Vous pouvez me donner un grand verre d’eau ?

Le Twi’lek roula des yeux et alla chercher un autre verre. Ben prit une paille sur un distributeur posé sur le comptoir, la plongea dans la boisson et fit semblant de boire. Les instructions pour son sauvetage – relayées via un comlink « emprunté » par un agent anonyme des Renseignements hapiens sur Coruscant – étaient de se rendre à la Cantina Gros Boum de la Station Nova située dans le système de Carida. Là, il devait commander un Fogblaster Saphir, agité, pas secoué, et attendre que « quelqu’un qu’il reconnaîtrait » s’approche de lui. Tout était très mystérieux, mais les opérations de récupération d’agents avaient tendance à l’être en règle générale. Ben regrettait seulement de ne pas pouvoir commander quelque chose à manger.

En attendant, il pivota et regarda les Biths sur la scène. Le groupe jouait de la musique de Rill légère et démodée que sa mère adorait, mais qu’il détestait et qu’il se prit à apprécier en regardant les autres clients de la cantina. Il avait toujours l’impression d’être observé. Avec de la chance, celui qui le surveillait serait son contact, et il le regardait depuis un coin sombre de la cantina pour s’assurer qu’il n’avait pas été suivi.

Ben était encore en train de le chercher lorsque le barman revint.

— Voici ton eau, dit-il en posant le verre avec un bruit sourd. N’en mets pas dans le Fogblaster si tu ne veux pas qu’il explose.

— Merci.

Ben se retourna et découvrit un verre mesurant un tiers de la taille du Fogblaster posé sur le bar devant lui, ainsi que quatre crédits, la monnaie sur vingt, présuma-t-il.

— Combien coûtait l’eau ? demanda-t-il.

— C’est de la bonne eau, répondit le Twi’lek en se retournant sans vraiment répondre à la question. Dis-moi si tu veux que je te resserve.

Ben se renfrogna et envisagea de la verser dans le Fogblaster lorsqu’il sentit deux êtres qui arrivaient dans son dos. Il se retourna sur son tabouret et vit deux femmes rousses qu’il eut l’impression de reconnaître. Elles étaient visiblement hapiennes. Il le déduisait de leur beauté saisissante et des combinaisons de vol en synthatex à la mode, une dorée, l’autre bordeaux, qu’elles portaient. Elles étaient apparemment jumelles et avaient de grands sourires, des lèvres pulpeuses et des pommettes hautes et saillantes.

Mais ce qui stupéfia Ben, ce qui le poussa à les dévisager, étaient leurs longs nez droits et leurs fins sourcils arrondis. Il les reconnut parfaitement parce qu’ils auraient pu se trouver sur le visage de Tenel Ka. La première femme, celle à la combinaison dorée, s’aperçut qu’il les regardait fixement et sourit. La deuxième, à la combinaison bordeaux, se contenta de rouler des yeux, s’assit sur le tabouret à côté de Ben et prit son Fogblaster.

— Enfin, dit Bordeaux en prenant une grande gorgée à la paille. Tu n’imagines pas depuis combien de temps j’attends ce moment.

— Huit jours ? demanda Ben. (C’était le temps écoulé depuis qu’il avait reçu ses instructions de l’agent sur Coruscant. Il tendit une main.) Désolé de vous avoir...

— Huit jours ? Tu plaisantes ? demanda l’autre sœur, celle en dorée. (Elle prit une paille au distributeur, la plongea dans le verre et but avec Bordeaux.) Plutôt huit heures, beau gosse.

— Heu, d’accord, dit Ben. (Il était quasiment certain qu’il s’agissait de ses contacts, car il lui semblait les reconnaître et qu’elles avaient l’air de penser qu’il était celui qu’elles cherchaient. Il tendit une main à Dorée.) Je m’appelle Ben...

— Nous savons comment tu t’appelles, dit Bordeaux. (Comme Dorée, elle avait l’air d’avoir dix ans de moins que Tenel Ka, même si cela restait difficile à déterminer avec les femmes hapiennes.) Je m’appelle Trista. Voici Taryn.

Taryn battit des cils à son intention.

— Nous sommes venues te ramener à la maison, dit-elle en prenant une longue gorgée du Fogblaster encore bouillonnant. N’est-ce pas lumineux ?

— Ouais... justement. (Ben regarda autour de lui dans la cantina et s’aperçut que la plupart des regards, surtout ceux des humains mâles, étaient ouvertement tournés dans leur direction.) Je crois qu’on nous observe.

Trista roula une nouvelle fois des yeux.

— Bien sûr que oui. Si tu comptes voyager avec nous, tu vas devoir t’y habituer.

— Je ne parlais pas de ce genre de regards, Trista, dit Ben. (Le fils du plus célèbre Jedi de la galaxie était lui-même habitué à attirer l’attention.) Je voulais dire que nous sommes espionnés.

— Ho, ça, dit Taryn en s’approchant de son oreille et en lui soufflant dessus sa chaude haleine en chuchotant :

— Ce n’est que notre équipe de sécurité. Nous sommes les cousines de Tenel Ka.

Ben se renfrogna et devint aussitôt méfiant.

— Je ne savais pas qu’elle avait des cousines.

— Personne ne le sait. C’est ce qui nous rend si utiles, dit Trista en donnant une chiquenaude sur le verre d’eau de Ben. Tu vas boire ça ou pas ? Ils ont de la bonne eau ici.

Ben n’y toucha pas, il n’allait pas boire quoi que ce soit avec ces deux-là avant d’être certain de leur identité.

— Le Prince Isolder est fils unique.

Les deux sœurs se mirent alors à glousser.

— Je t’en priiiie ! dit Taryn. Tu crois vraiment que Ta’a Chume a volontiers accepté un héritier mâle ? Isolder est le seul fils légitime survivant, mais tu peux être sûr que si un de ses demi-frères s’était transformé en sa demi-sœur, elle serait devenue l’héritière.

Ben dut avouer qu’elles n’avaient pas tort ; et elles ressemblaient beaucoup à Tenel Ka. Taryn se servit d’un moment de distraction de sa sœur pour finir le Fogblaster, puis elle passa un bras autour de Ben et se leva.

— Viens, beau gosse, dit-elle en le soulevant. Je vais te montrer notre vaisseau.

Trista se renfrogna face au verre vide puis elle se leva et les suivit en plissant le nez devant la tunique de Ben.

— Et on va te trouver des habits propres. Où as-tu été traîné ? Dans une benne à ordures ?

Ben haussa un sourcil.

— Comment avez-vous...

— Je n’aurais jamais dû demander, dit Trista en se dirigeant vers la sortie et en parlant par-dessus son épaule. Ça t’aurait vraiment coûté de voler des habits neufs avant de venir au Gros Boum ?

Ben se laissa emmener à l’extérieur de la cantina, dans un long couloir flanqué de vitres. Derrière le transparacier, on voyait de fins rideaux de gaz cramoisi, les éjectas encore en train de refroidir de la supernova qui avait fait bouillir le sang de millions de Caridans quasiment deux décennies avant la naissance de Ben.

En se rappelant que l’explosion avait été un acte délibéré de représailles dirigé contre le foyer de l’Académie Militaire Impériale, Ben commença à se demander si les guerres accomplissaient quoi que ce soit, si toute l’histoire des êtres intelligents n’était qu’une longue suite de cataclysmes qui s’enchaînaient. Il avait davantage connu la guerre que la paix durant ses quatorze années de vie et c’était encore plus vrai pour ses cousins. Au final, pensa-t-il, c’était ce qui avait rendu Jacen fou : pas la soif de puissance, mais la peur que rien de ce qu’il ferait ne compte, la triste déduction que le seul moyen d’arriver à la paix totale était d’exercer un contrôle total.

Lorsqu’ils entrèrent dans le hangar privé où Trista et Taryn avaient laissé leur vaisseau, la sensation d’être observé devint plus forte encore. Ben n’avait vu aucun signe de l’équipe de sécurité des sœurs, mais s’il s’agissait d’une bonne équipe qui restait cachée, c’était plutôt normal. Il s’arrêta tout de même juste derrière la porte et regarda les fines lignes bleues d’un vaisseau aiguille Batag et plongea dans la Force à la recherche de l’origine de son malaise.

— Ne fais pas le timide, dit Taryn en l’attirant vers le petit vaisseau. Il y a bien assez de place pour trois.

— Et il y a une vapodouche, ajouta Trista.

— Donnez-moi une seconde, dit Ben en s’arrêtant à trois pas de l’écoutille.

Le quai d’embarquement était un mini-hangar typique, une grotte d’acier contenant une petite jungle de tuyaux d’approvisionnement pendant du plafond et sans beaucoup d’endroits où se cacher, bien qu’il eût senti des présences vivantes à l’intérieur.

— Votre équipe de sécurité a examiné ce hangar ? demanda-t-il.

— Bien sûr, dit Trista. C’est à ça que servent les équipes de sécurité.

Ben ne releva pas son sarcasme.

— Et ils nous surveillent en ce moment ?

— Ils ont intérêt, dit Taryn. Mais je te promets que personne ne va te regarder prendre une douche si c’est ça qui t’inquiète.

— Heu, merci. (Il n’était même pas venu à l’idée de Ben qu’on puisse l’épier.) Peux-tu leur demander de sortir deux secondes ?

Trista se renfrogna.

— Pourquoi ?

— Un truc de Jedi, dit-il. Il faut que je vérifie quelque chose.

Trista regarda Taryn qui se contenta de hausser les épaules.

— Le Prince semble lui faire confiance.

— Le Prince ? demanda Ben. Isolder ?

Taryn secoua la tête, n’en croyant pas ses yeux.

— Il n’y a qu’un seul Prince en ce moment, Ben, dit-elle. Et il est la seule Majesté à qui tu peux faire confiance pour être renvoyé à la base secrète Jedi.

— Il me suffit d’emprunter un appareil décent, dit Ben, irrité à l’idée de devoir être renvoyé quelque part. Je peux m’y rendre par mes propres moyens.

— Bien sûr que oui, dit Taryn. Mais Sa Majesté ne savait pas dans quel état tu serais.

— Ho, j’imagine que c’est crédible, dit Ben en se sentant un peu idiot d’être aussi méfiant. (Il se tourna vers Trista.) Et votre équipe de sécurité ?

Trista poussa un soupir puis sortit un comlink d’une de ses poches et entama une communication.

— Messieurs, il faut que vous nous tourniez le dos une minute.

Il n’y eut pas de réponse et Ben continua d’avoir la sensation d’être observé.

Les deux sœurs se renfrognèrent et Taryn demanda :

— Mauvais signal ?

— Mauvais quelque chose, répondit Trista avant de poursuivre. Vous me recevez ?

Un instant plus tard, une voix entrecoupée de parasites dit :

— Désolé... dans la... zone.

Taryn et Trista échangèrent des regards perplexes puis Taryn dit :

— Ça explique tout... en quelque sorte.

Trista acquiesça.

— Nous ferons attention, dit-elle en plongeant une main dans une poche. Montons nos paquets à bord.

Elle sortit une télécommande et la dirigea vers le vaisseau. Ben ne perçut pas de danger, mais il lui fit signe d’attendre et s’empara du sabre laser qu’il avait pris à Tahiri.

— Laisse-moi aller voir d’abord, dit-il. Les sœurs se regardèrent et rirent, amusées.

— Si tu touches ce vaisseau, nous allons te livrer au Prince sur un brancard, dit Trista. (Elle appuya sur un des boutons de la télécommande et des fourches bleues de courant se mirent à onduler sur la coque.) Si quelqu’un avait effleuré le Glisseur Bleu, il serait allongé dessous.

— C’est un système d’antivol dernier cri, ajouta Taryn. Pas même encore sur le marché. Il rend obsolètes ces rapports avec les forces de l’ordre locales qui prennent du temps.

Ben rougit, se sentant un peu idiot d’essayer d’être galant. Les femmes hapiennes savaient s’occuper d’elles-mêmes et étaient habituées à diriger ; ce qui était encore plus vrai des agents du renseignement. Il haussa les épaules et les suivit vers le Glisseur Bleu.

Même s’il y avait un problème avec l’équipe de sécurité, le vaisseau semblait relativement sûr. L’intérieur était bien rangé, propre et d’un confort élégant. Une grande méridienne de cuir gris entourait une table flottante dont la hauteur pouvait être ajustée selon les circonstances ou que l’on pouvait ranger au plafond. Une cabine de repos et une salle de bains luxueuse se trouvaient à l’arrière. Mais c’était ce qui était à l’avant qui intéressa le plus Ben : une petite cambuse avec une unité de traitement AgiMuud et plus d’un millier de références sur le menu.

Trista le vit lorgner sur la cambuse.

— Après ta vapodouche, dit-elle en le pressant vers la salle de bains. Tu trouveras des sous-vêtements neufs et une robe propre dans la cabine de repos.

— Avec les compliments de Sa Majesté elle-même, ajouta Taryn en souriant. Elle semble bien t’aimer.

— C’est réciproque, lui assura Ben. J’ai admiré Tenel Ka, heu, Sa Majesté quasiment toute ma vie.

— Elle sera ravie de l’apprendre dans notre rapport, dit Trista. Nous n’allons pas partir tout de suite. Je veux faire une vérification de tous les systèmes avant de décoller.

Taryn eut un mouvement de recul.

— On dirait que c’est moi qui vais devoir prendre une vapodouche ensuite.

Elle suivit Ben vers l’arrière et prit une combinaison tachée de graisse dans un placard de la cabine de repos puis alla se changer dans la zone de détente.

— Ne regarde pas, Ben, dit-elle.

— Je n’y avais même pas pensé.

Il commençait à comprendre à quoi servait leur façon de flirter : c’était un moyen de mettre les autres à l’aise, mais aussi de les prendre au dépourvu. Visiblement, les sœurs appartenaient à la meilleure catégorie d’agents du renseignement, ceux que personne ne soupçonnait. Il atteignit la porte puis ajouta :

— En tout cas pas avant que tu n’en parles. Merci de m’avoir donné l’idée !

Taryn resta bouche bée.

Ben sourit et ferma la porte, puis il se déshabilla et entra dans la vapodouche. En se levant, il garda le sabre laser de Tahiri à portée de main et resta concentré dans la Force, sur le qui-vive, prêt à détecter une présence dans le hangar qui pourrait expliquer sa sensation de mal-être, ou les problèmes de communication avec l’équipe de sécurité. Les seuls êtres qu’il détecta furent Trista et Taryn qui faisaient leur inspection et leurs vérifications ainsi que quelques droïdes.

Ben détectait mieux les droïdes que la plupart des Jedi, mais il ne les sentait jamais de façon distincte. Dans ce cas précis, il percevait seulement des concentrations d’énergie électrique qui paraissaient se déplacer de leur propre chef. En d’autres termes : des droïdes. Mais leur présence dans un hangar spatial n’avait rien d’inhabituel.

Ce qui inquiétait bien plus Ben était l’éventualité que Tahiri ait appris à cacher sa présence dans la Force. Si c’était le cas, elle aurait pu le rattraper sur Coruscant et le suivre jusqu’ici. Et cela expliquerait pourquoi il avait tant de mal à découvrir l’origine de son malaise. Mais cela signifierait aussi qu’il avait commis une erreur en épargnant la vie de Tahiri et Ben ne voulait pas y croire. Les meurtres préventifs étaient une pratique de la GAG, une voie menant au Côté Obscur. Il n’avait aucune intention de glisser vers l’un ou l’autre.

Ben poussa un soupir et regarda le sabre laser. Malheureusement, bien agir n’empêchait en rien vos actions de revenir vous hanter plus tard. Epargner la vie d’un adversaire ne signifiait pas qu’elle deviendrait votre amie ; il était plus probable qu’elle reviendrait vous attaquer de nouveau. Personne n’avait jamais dit que le Côté Lumineux était facile, il nécessitait beaucoup de patience.

Lorsque Ben eut terminé de prendre sa vapodouche, Trista faisait chauffer les moteurs en vue du départ. Il s’enroula une serviette autour de la taille et sortit du compartiment de la salle de bains puis remarqua que la porte de la cabine principale était légèrement entrouverte.

— Désolée ! cria Taryn. Je ne sais pas comment elle a pu rester ouverte !

— Sans doute à cause d’un passager clandestin, répondit Ben avec un fin sourire.

Il savait qu’elle n’avait pas vraiment regardé – il l’aurait senti dans la Force – mais il aimait la façon dont elle lui parlait. Elle le traitait comme un adulte, pas comme un enfant. Il l’imaginait plaisanter de la même façon avec Zekk... mais pas avec Jag. Il avait une trop haute opinion de lui-même pour plaisanter. Ben n’arrivait vraiment pas à comprendre comment Jaina arrivait à supporter son numéro d’as du pilotage. Peut-être était-ce parce que Jag était le premier homme susceptible de l’épouser et parce que ses talents de pilote s’approchaient de ceux de son père.

En enfilant les vêtements que Taryn avait laissés pour lui, l’odeur alléchante d’un steak de nef et de yobas commença à emplir ses narines. Il mit rapidement ses bottes, se rendit dans la zone de détente et découvrit un repas fumant sur la table.

— J’ai fait au hasard, dit Taryn en posa un verre de lait de golf doré près de l’assiette. J’espère que tu ne m’en veux pas.

— T’en vouloir ? dit Ben en s’effondrant dans un siège. Je crois que je suis amoureux !

— Idiot : les cousines royales ne font pas dans l’amour, dit Taryn en riant. (Elle désigna une fourchette et un couteau.) J’ai bien peur que tu ne doives manger vite. Nous arriverons bientôt au starcutter du Prince.

Trista annonça leur départ sur l’intercom puis le vaisseau se détacha de ses amarres en s’abaissant légèrement. Ce fut un tout petit choc, à peine perceptible, mais il fit hausser un sourcil à Taryn et elle regarda vers le pont d’envol.

— Et elle ne veut pas me laisser piloter. (Elle s’approcha de Ben.) Pourquoi le fait d’être née cinq minutes plus tôt fait d’elle le membre le plus âgé de l’équipe ?

— J’ai entendu, dit Trista sur l’intercom.

— Entendu quoi ? demanda innocemment Taryn. Nous parlions des races de glach de Cheruban. (Elle fit un clin d’œil de conspiratrice à Ben.) N’est-ce pas, Jedi Skywalker ?

Ben ne répondit pas. La sensation d’être observée était revenue et, cette fois, elle était plus forte que jamais. Il fouilla la Force et, à son grand soulagement, ne sentit rien. Il y avait une concentration d’énergie électrique sur la face supérieure de la coque du vaisseau, une concentration qui se déplaçait lentement vers les ailettes arrière où elle pourrait se cacher d’une inspection visuelle inattendue.

Ben reposa sa fourchette et son couteau inutilisés sur la table.

— Il n’y a aucune raison pour qu’un droïde auxiliaire rampe sur votre coque extérieure, n’est-ce pas ?

— Il y a un droïde sur la coque ? demanda Trista d’une voix si forte que Ben aurait pu l’entendre sans l’intercom. De quel genre ?

— Du genre qui ne devrait pas être là, répondit Taryn. Enclenche le nettoyeur de coque.

Un doux carillon d’alarme sonna puis les lumières se tamisèrent et le sifflement ambiant des ventilateurs s’arrêta presque entièrement. Un instant plus tard, un crépitement mélodique résonna dans la coque lorsque les systèmes antivol du Glisseur Bleu s’activèrent. Ben se concentra sur la présence du droïde et ne perçut aucune différence.

— Ça n’a pas marché, annonça-t-il. Il est sans doute protégé contre les impulsions.

— Protégé contre les impulsions ? répéta Trista dans l’intercom. C’est quoi, un droïde de combat ?

— Ouais, sans doute, dit Ben en se levant et en se tournant vers Taryn. Où est votre placard EV ?

Taryn haussa un sourcil.

— Tu ne sortiras pas, Ben. Nos ordres sont de te livrer au Prince sain et sauf.

Un fort bruit métallique résonna à la poupe lorsque le droïde se mit à travailler sur la coque avec un outil ou une arme, Ben n’aurait su le dire.

Il regarda en direction du bruit, puis dit :

— Il faut pourtant que quelqu’un sorte. Et comme je suis le seul à pouvoir me coller à la coque grâce à la Force, il vaudrait mieux que ce soit moi.

Trista prit la parole par l’intercom.

— Il a sans doute raison, Taryn. Le droïde vient d’envoyer un message à la Station Nova et quelque chose sur les quais vient de faire une transmission en rayon S.

Personne ne prit la peine de faire remarquer l’évidence : le message du droïde avait été relayé jusqu’à quelque chose qui attendait à l’extérieur de la Nébuleuse Carida.

— Très bien. (Taryn le guida vers l’avant et ouvrit un placard caché qui abritait une combinaison d’urgence et qui servait de sas.) Essaye de ne pas te faire tuer. Sa Majesté nous en tiendrait responsables.

Ben sourit.

— Je ferai de mon mieux, dit-il. Tenez-moi informé de notre situation tactique.

— Tu as une idée de ce à quoi nous devons nous attendre ? demanda Trista.

— Non, mais il appelait quelqu’un, dit Ben en enfilant une des tenues EV.

Il s’aperçut avec ravissement que la combinaison était une des meilleures sur le marché, avec des gants qui s’ajustaient automatiquement et une armure en eletrotex qu’un tir de blaster n’aurait pas pu pénétrer. Il regarda vers le bruit une nouvelle fois.

— Et j’ai l’impression que le droïde préférerait me tuer plutôt que de me laisser m’échapper.

Une fois que Taryn eut enlevé les autres combinaisons EV du placard, Ben y entra et enclencha l’évacuation de l’air. Lorsque la procédure fut terminée, Trista lui annonça par la comm dans son casque que le starcutter du Prince, le Coureur de Rayon, était apparu sur l’écran tactique et déployait son escadron de Miy’tils pour leur venir en aide. Elle lui dit aussi de faire attention en quittant le sas parce que le bruit avait cessé, ce que Ben savait déjà. Il percevait le droïde, chaude boule d’énergie frémissante cachée sur la coque au-dessus du sas.

Ben ouvrit l’écoutille, mais resta à l’intérieur, le sabre laser qu’il avait emprunté à la main, lorsqu’un tir de blaster fendit le fin rideau rouge de gaz de la nova.

Moins d’une seconde plus tard, la rafale de lasers disparut et une main de droïde, noire et squelettique, descendit du bord supérieur du sas pour ouvrir le feu avec un pistolet blaster standard. Ben alluma le sabre laser de Tahiri et se mit à renvoyer les tirs dans l’espace, mais sa bouche s’assécha subitement et il sentit une panique irrationnelle monter en lui.

Il reconnut cette main qu’il ne pourrait jamais oublier. Ses doigts contenaient une dizaine d’instruments de tortures : électrodes, aiguilles, minuscules torches, tampons à acide, etc. Il ne parvenait qu’à analyser les rafales de tirs du droïde et se contentait de renvoyer les éclairs. Il ne frappait pas avec le sabre laser parce que cette main le terrifiait à un niveau inconscient, si profondément qu’il associait sa vision avec la douleur de la même manière qu’un ronto associait le visage de son cavalier à de la nourriture.

Trista parla dans le haut-parleur de son casque.

— Jedi Skywalker, attires-tu toujours autant les ennuis ? demanda-t-elle. Un Destroyer Stellaire vient de sortir de l'hyperespace entre nous et le Coureur de Rayon.

Un instant plus tard, une autre voix, faible et éraillée, retentit dans la comm de Ben, comme provenant d’un de ces cauchemars de prison.

— Tu pensais vraiment pouvoir m’échapper, Ben ?

— D...Double-X ?

Ben n’eut pas à faire beaucoup d’efforts pour répondre d’une voix effrayée.

— Qui d’autre, Ben ?

Double-X continua de tirer dans le sas. Ben plongea dans un coin où les rafales du droïde ne semblaient pas pouvoir l’atteindre, atterrissant délibérant avec un gros bruit sourd. Puis il lâcha le sabre laser de Tahiri qui, toujours allumé, traversa l’écoutille pour aller dans l’espace.

Les tirs de blasters cessèrent et, un instant plus tard, la silhouette d’un noir brillant d’un fin droïde au visage squelettique et aux photorécepteurs d’un bleu éclatant entra en se balançant par l’écoutille.

Ben l’attendait, la main déjà tendue.

— Bonjour, Double-X, dit-il.

Les bruits n’étant audibles que par la comm, le droïde ne sut pas d’où venaient ces paroles et sa tête pivota vers le coin opposé du sas.

— Au revoir, Double-X.

Ben frappa le droïde avec toute la Force possible. Double-X laissa échapper un cri de surprise par la comm puis il vola en arrière et sortit du sas. Il se mit aussitôt à tirer à travers l’écoutille, mais très vite son élan et celui du Glisseur Bleu l’empêchèrent d’atteindre sa cible.

Ben sortit la tête de l’écoutille et fut soulagé de voir une hélice de points brillants qui s’échappaient encore du blaster tandis que le droïde tombait vers la gaze couleur sang de la Nébuleuse Carida.

Puis il remarqua la coque d’un noir mat de l’Anakin Solo qui passait au loin, le cône de dissimulation et le dôme des générateurs de gravité ne laissant aucun doute quant à son identité. À sa grande surprise, l’imposant Destroyer Stellaire semblait se détourner d’eux et ses canons à ions tiraient sur une cible qu’il ne pouvait pas voir. L’escadre de Miy’tils qui avait été envoyée pour escorter le Glisseur Bleu voltigeait autour de ses échappements, essayant sans doute de les toucher avec un tir chanceux et de descendre le Solo avant qu’il ne capture sa cible.

— Fierfek ! pesta Ben. Ils poursuivent le Coureur de Rayon ?

— Je ne dirais pas qu’ils le poursuivent, répondit Trista. Leur rayon tracteur est déjà verrouillé.

— Alors, ils vont capturer le Prince Isolder ? dit Ben dans un souffle.

— C’est déjà fait, répondit Taryn. Il n’y a plus qu’une échappatoire à présent et j’espère vraiment qu’il ne la prendra pas. Isolder a toujours été un oncle très bon.

Lorsque le Solo glissa hors de sa vue derrière la queue du Glisseur, Ben comprit enfin qu’elles évitaient la confrontation.

— Que faites-vous ? demanda Ben en tirant l’écoutille extérieure du sas et en la refermant. Je peux peut-être l’aider.

— Vous, les Jedi, dit Taryn, croyez toujours pouvoir accomplir l’impossible. Pas étonnant que vous récoltiez autant d’ennuis.

Ben se renfrogna et enclencha l’envoi d’air dans le sas.

— Mais...

— N’y compte pas, dit Trista. Sa Majesté sera déjà suffisamment en colère d’avoir perdu son père.